Roscoff | Bretagne | France
Bienvenue dans le Finistère nord, au cœur d’un territoire breton autrefois farouchement indépendant : le Léon. Un comté médiéval rude et isolé, bordé par la mer, sculpté par le vent, et qui osa, au XIIᵉ siècle, tenir tête à la fois aux Ducs de Bretagne et aux Rois d’Angleterre.
À cette époque, le Duché de Bretagne est indépendant, mais fragmenté en huit grands comtés. Le Léon, correspondant au nord du Finistère actuel, est alors une seigneurie turbulente, en perpétuelle opposition avec le pouvoir ducal, et même en conflit direct avec les Plantagenêts, rois d’Angleterre et suzerains revendiqués.
Les comtes de Léon, farouches et insoumis, ont longtemps tenu tête à plus grands qu’eux. Refusant de plier devant le Duc de Bretagne comme devant le Roi d’Angleterre, ils ont défendu avec acharnement leur terre bretonne battue par les vents. Leur obstination attira la colère du Roi d’Angleterre qui se déplaça en personne, avec ses troupes sur ces terres reculées… et les ravagèrent sans pitié.
Mais pourquoi tant d’acharnement, tant de moyens, pour un recoin de Bretagne que l’on atteint au prix de nombreux jours de voyage sur des chemins cahoteux et dangereux ?
Partons ensemble dans ce passé médiéval, pour lever la brume au fil de cet itinéraire de 3 jours. Une échappée à travers les paysages du Léon, où l’on marche dans les pas des chevaliers, où l’on se repose dans des abbayes fleuries, où l’on prend le large vers les îles... et où les Caraïbes prennent l’accent breton.


Lever les yeux vers les flèches gothiques de Saint-Pol-de-Léon,
S’enivrer d’embruns et de lumière à Roscoff, avant de voguer vers l’Île de Batz,
Allumer les corps de garde de Lavillo et des Amiets pour signaler l’ennemi !
Grimper jusqu’au Roc’h Morvan et imaginez défendre la vallée de l’Élorn
Se laisser bercer par la quiétude de l’Abbaye de Daoulas et ses jardins
Mes Incontournables




Face à la cathédrale (à 250m), on trouve la chapelle du Kreisker où là carrément la flèche est la plus haute de Bretagne. Mais pourquoi faire plus haut que la cathédrale des évêques de Léon ?
Construite plus de 100 ans après la cathédrale, la chapelle est l’autre monument emblématique de St Pol. Outre sa vocation religieuse, le Kreisker a joué un rôle central dans la vie civique et militaire de la ville. L’église des seigneurs de Léon en quelque sorte, qui faisait face à l’église des évêques, la cathédrale.
Sa flèche, inspirait encore une fois de l’art gothique normand (cette fois-ci de l’église St Pierre à Caen, un pur style gothique flamboyant) culmine à 78 mètres, la plus haute de Bretagne. Elle était utilisée comme poste de vigie, offrant une vue imprenable sur la mer et les terres environnantes. Elle dominait aussi les flèches des évêques…
D’ailleurs, pour les plus courageux (et croyez-moi l’accès est épique !), elle est ouverte aux visites pour jouir d’un panorama exceptionnel au sommet du clocher.
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Au Moyen-Âge, sur cette avancée de terre sur la Manche va naître un Minihy, un territoire ecclésiastique autonome, sorte de sanctuaire ou de refuge, sur les communes actuelles de St Pol de Léon, Roscoff et Santec. Vous apercevrez trois flèches qui percent le ciel breton, elles racontent une histoire de pouvoir et de rivalités féodales.
Les seigneurs du Léon refusent alors toute forme d’autorité sur leur contrée lointaine or l’évêque de Saint-Pol, relève directement du Pape à Rome et du Duc de Bretagne, et non du Comte. Impensable ! Les Comtes de Léon ont bien l’intention de prendre le contrôle de l’’évêché à St Pol mais le Pape répond à l’appel au secours de l’évêque et déclare le Minihy. Il restera en vigueur pendant 500 ans ! Grâce à ce nouveau statut, les évêques de Léon deviennent indépendants et de véritables petits princes. L'évêque y exerçait à la fois le pouvoir spirituel et temporel, avec sa propre justice, son administration et… ses revenus.
Quoi de plus normal avec ces nouveaux revenus que de construire la plus belle des cathédrales non ? La mode est à l’art français que l’on nomme art gothique aujourd’hui. Les cathédrales de Coutances et de Bayeux, des Cités avec lesquelles St Pol entretient des relations grâce à ses ports seront des exemples pour la construction. Le style gothique normand est reconnu pour l’élancement spectaculaire de ces flèches, idéal quand on veut en mettre plein la vue au voisin le Comte. Allons même plus loin en faisant venir de la pierre de Caen par bateau, un matériau plus lumineux et plus fin que le granit. Elle donnera une atmosphère différente à la cathédrale, un prestige de plus pour se démarquer des constructions en cours des cathédrales de Quimper, de Dol ou de Tréguier.
La façade, elle, restera en granit, plus solide pour élever les flèches à plus de 50 mètres de haut.
S’enivrer d’embruns et de lumière à Roscoff, avant de voguer vers l’Île de Batz
Roscoff, petit port du nord du Finistère, possède un riche passé maritime. Dès le 15e siècle, la ville entretient des échanges commerciaux avec l’Angleterre : lin, chanvre et vin y transitent, tandis que les marins rapportent du sel et du charbon. Plus tard, la ville développe une pêche côtière tournée vers le bar, le maquereau ou le homard, c’est toujours le cas aujourd’hui. L’ostréiculture et la récolte d’algues y occupent aussi une place importante, tout comme la recherche scientifique, grâce à la station biologique de Roscoff. Aujourd’hui, elle séduit par son atmosphère paisible, ses maisons en granit, son port animé et sa proximité avec l’Île de Batz, accessible en quelques minutes de traversée. Roscoff est aussi désormais une porte d’entrée vers l’Irlande grâce à sa liaison en ferries.
Parmi les spécialités locales, l’oignon de Roscoff occupe une place à part. Introduit au 17e siècle par des moines capucins, cet oignon rosé, doux et légèrement sucré, s’adapte parfaitement au climat du Léon. À partir du 19e siècle, les « Johnnies » — des marchands bretons — embarquent depuis Roscoff pour vendre leurs oignons en Angleterre, où ils deviennent célèbres. Reconnaissables à leurs vélos chargés de tresses d’oignons, ils parcouraient les villes britanniques pour vendre l’oignon rose. Aujourd’hui protégé par une AOP, l’oignon de Roscoff est célébré chaque été lors d’une grande fête. Idéal pour faire le plein de ce produit plein de saveur à moindre coût qui se conserve longtemps. C’est un symbole fort de l’identité locale et du lien ancien entre les deux rives de la Manche.
En flânant dans les ruelles, ne manquez pas l’église Notre-Dame-de-Croaz-Batz, joyau du gothique breton financé par les riches armateurs locaux. Elle déploie un enclos paroissial finement sculpté, avec des motifs marins en clin d’œil au passé corsaire de la ville.
À quelques pas, les jardins exotiques de Roscoff sont un émerveillement inattendu. Grâce au microclimat de la région, cactus, palmiers et plantes rares du Chili, de Nouvelle-Zélande ou de Madagascar y prospèrent avec insolence. Du haut du jardin, la vue s’ouvre sur la baie de Morlaix et sur… votre prochaine étape : l’Île de Batz. Avant d’embarquer passez chez Stéphane Giraud sur le port, de petites merveilles sucrées et salées !
Il suffit de 15 minutes en bateau pour rejoindre cette île à la fois paisible et sauvage. La traversée est courte, mais elle a ce parfum d’évasion totale. À l’arrivée, un monde à part vous attend. Ici, pas de voitures ou presque. Si vous avez faim, direction le PAB (Penn Ar Batz) pour déjeuner, boire un coup, ou finir la journée, voici un lieu super accueillant et on y mange bien !
Les chemins côtiers se découvrent à pied ou à vélo, entre criques discrètes, plages de sable fin et champs maraîchers. Ouvrez l’œil, il est courant d’observer des phoques gris.
Au nord de l’île se dresse le phare de l’Île de Batz. Montez ses 198 marches : la récompense est une vue à couper le souffle sur toute la côte léonarde, de Carantec jusqu’à Brignogan. Par temps clair, la mer semble infinie.
À l’autre bout de l’île, le jardin extraordinaire de Georges Delaselle est un autre trésor botanique. Créé à la fin du XIXe siècle par un passionné, il offre un voyage végétal entre palmiers des Canaries, bambous géants et eucalyptus. Un havre de paix chargé d’embruns et de poésie. Un lieu qui a été dévasté par la tempête Ciaran de 2023 notamment sa partie boisée qui servait de protection contre le vent afin que les espèces exotiques puissent s’épanouir. Lauréat du Loto du Patrimoine 2024, le merveilleux jardin repart de l’avant. J’ai adoré le lieu !








Allumer les corps de garde de Lavillo et des Amiets pour signaler l’ennemi !
Non loin de Roscoff, sur les côtes du Léon, la plage des Amiets encadrée de deux petits édifices de granit résistant au temps : les corps de garde des Amiets et de Lavillo. Celui des Amiets est posé sur les massifs dunaires, celui de Lavillo est construit dans un chaos de granit. Il vous faudra une trentaine de minutes pour relier les deux et ainsi découvrir ce très beau coin de Bretagne.
La côte était maillée de ces postes, souvent placés en hauteur ou avec une vue dégagée sur l’horizon. L’idée était qu’un poste puisse voir le suivant pour transmettre l’alerte rapidement par signaux visuels. Édifié en 1744, Amiets et Lavillo étaient des relais pour émettre un signal grâce à leur cheminée en cas de menace ennemis. Ce littoral dangereux a fait la richesse des seigneurs du Léon et pas grâce à la pêche mais au droit de bris, cette balade est l’occasion de vous en parler.
Au XIIe siècle, les seigneurs du Léon tirent l’essentiel de leurs revenus de la mer, surtout des naufrages. Sur ce littoral dangereux, balayé par les tempêtes, les écueils sont nombreux. Quand un navire étranger venait s’échouer, hommes et marchandises étaient considérés comme « livrés par la mer ». Les seigneurs s’en emparaient, légitimés par le droit de bris, une coutume acceptée, voire redoutée. A l’époque, il n’existe pratiquement aucun outil pour s’orienter sur la mer, les navires naviguent donc en longeant les côtes et comme vous pouvez le constater éviter les rochers est particulièrement difficiles sur cette côte.






Assister à la marée montante à Plouescat au port de Porsguen et l’Anse de Kernic, des Caraïbes aux noms bien breton !
Voici, une belle balade entre le port de Porsguen et l’Anse de Kernic pour découvrir la palette de bleus que peut offrir la Bretagne. Beaucoup appelle ce coin, les Caraïbes bretonnes en raison de sa mer translucide et de sa couleur turquoise. Pour admirer le spectacle, venez à marée montante, voir à marée haute pour observer les couleurs et par temps lumineux, sinon vous ne verrez rien !
Commencez par l’Anse de Kernic, installez-vous sur les rochers et regardez la marée entrer dans cette échancrure du littoral. De nombreux courants apparaissent et le camaïeu de bleus évolue en fonction du remplissage de cette petite baie.
Direction ensuite la looongue plage de Plouescat (700m), idéal pour se baigner ou pour se poser sur la plage de sable fin, idéal pour les familles.
Enfin le port de Porsguen, petit havre aux allures de carte postale, est un véritable enchantement. Quelques bateaux semblent flotter dans le vide tellement la mer est transparente ! Vous pouvez vous balader sur son étroite digue sensations garanties à marée haute.


Grimper jusqu’au Roc’h Morvan et imaginez défendre la vallée de l’Élorn
La richesse issue des naufrages a permis aux Comtes de Léon de bâtir cette forteresse, essentielle dans la stratégie de défense du Comté. C’est d’ailleurs, la seule encore debout (et encore elle est en ruine), le Léon s’est tellement rebellé contre les puissants que la plupart de ses défenses ont disparu, rasées ou démembrées au fil du temps. Il faut arriver par l’ancienne voie romaine pour se rendre compte de l’intérêt stratégique de la roc’h Morvan (en breton). Dominant l’Elorn, fleuve suffisamment large et proche de la mer pour être une voie d’accès pour l’ennemi, au sommet d’un rocher émergeant de la forêt, la forteresse, même ruinée, a fière allure. Ce site, souvent ignoré au profit de destinations plus connues, mérite pourtant une halte.
Le site en lui-même est en ruines, mais il reste de nombreux éléments visibles : bases de remparts, tour de guet, donjon, escaliers. Des panneaux explicatifs permettent de se repérer et d’imaginer l’organisation du château à son apogée. C’est simple, clair, et bien fait — idéal pour une visite rapide mais instructive.
On a la possibilité de se promener librement sur le site. Il n’y a pas de barrières excessives, et on peut vraiment prendre le temps d’explorer, faire des photos ou juste s’asseoir pour profiter du panorama. On est loin des lieux trop touristiques et balisés. La visite est gratuite. Grimper jusqu’au Roc’h Morvan ne prend pas plus d’une heure, mais permet de découvrir un bout de l’histoire bretonne dans un cadre naturel très agréable.
Après la visite du château, je recommande un détour par l’église Saint-Yves, en contrebas. C’est un bel exemple d’architecture religieuse bretonne, avec des sculptures étonnamment bien conservées et un enclos paroissial typique de la région. Une bonne surprise !
Se laisser bercer par la quiétude de l’Abbaye de Daoulas et ses jardins
Un peu d’histoire, celle du Trône de Bretagne que vous retrouverez ici.
La Bretagne est entrée dans le giron de l’Empire Plantagenêt, un territoire allant de l’Ecosse aux Pyrénées tenu d’une main de fer par le Roi d’Angleterre, Henri II. Les seigneurs de Leon mènent alors la résistance et refuse qu’un étranger puisse les diriger. Le frère du Comte de Léon est alors évêque à St Pol de Léon, un moyen pour le Comte de contrôler aussi le pouvoir religieux sur ses Terres. Lors d’une bataille contre le Trégor voisin, l’évêque choisit le camp des vainqueurs, celui du Duc de Bretagne et du Roi d’Angleterre… Inconcevable pour les irréductibles léonards ! Le Comte de Leon fait assassiner son frère l’évêque sur le parvis de sa cathédrale. Un geste qui débouchera sur une nouvelle incursion anglaise dans le Léon et la saisie de l’ensemble de ses châteaux. Pour se faire pardonner aux yeux de Dieu, le Comte de Leon fait construire l’Abbaye de Daoulas, ce haut lieu culturel du Finistère se dresse encore fièrement aujourd’hui, une visite incontournable !
Ne manquez pas le seul exemple de cloître roman (12e siècle) aussi bien conservé de Bretagne. Avec ses arcades plein cintre et ses colonnettes simples et doubles, un véritable cadre enchanteur. L’Abbaye est également réputée pour ses jardins médicinaux, labellisé « jardin remarquable » en 2012. On y trouve 250 espèces représentatives des pharmacopées traditionnelles des cinq continents. Sur le premier niveau les plantes médicinales d’Europe occidentale et sur le second les espèces du monde. Depuis 2016, cinq hectares supplémentaires ont vu le jour avec une collection d'arbres et d'arbustes médicinaux.
Chaque plante a une vertu médicinale comme à l’époque des moines. Aujourd’hui, ils n’occupent plus le site, l’abbaye a été vendue au Conseil Départemental du Finistère en 1984 pour y créer un centre culturel qui y organise chaque année, des expositions sur le thème de l’ouverture au monde et aux cultures. Une merveille ! Ouverte d’avril à septembre avec une petite restauration originale sur place.



